historique: année 2010


les événements marquants de l'année 2010

Tout commença en 2010. Je venais de retrouver les légos de mon enfance et me souvenais, avec un brin de nostalgie, que je les avais adorés des années durant avant de me résoudre, en pleine adolescence, à les mettre de côté pour m’adonner à des loisirs que je jugeais alors plus présentables en société. Parmi les dizaines de constructions que j'avais réalisées, c’étaient mes villes miniatures que j'avais préférées. Chacune d'entre elles m'avait fait voyager dans un monde imaginaire où j'aimais à me complaire et dont, quand le soir venu il fallait bien ranger, je ne me séparais qu'à contrecœur. Ce jour de 2010, en fouillant dans cette énorme caisse contenant des milliers de pièces en plastique multicolore, je sentis tout de suite que j'avais envie de m'y remettre. Spontanément, comme je l'avais fait durant mon enfance sans le formuler en termes arithmétiques, je sus, pour donner de l'ampleur à ma future ville car c’était une ville que je comptais bâtir, que j'allais travailler au millième. Un millimètre équivaudrait à un mètre. Une brique de quatre tenons sur deux (ces petites protubérances rondes frappées du sigle de la marque) aurait une longueur approximative de 30 mètres, une largeur de 15 mètres et une hauteur de 10 mètres, soit l'équivalent d'un petit immeuble de trois étages comme on en trouve dans la plupart des banlieues. En choisissant cette échelle, je savais, moi qui suis très sensible à la beauté des cités du vieux continent, que je n'allais pas réaliser une ville européenne. L'attrait des villes européennes ne réside pas dans leur gigantisme et je craignais qu’au millième le résultat ne fût trop insignifiant. Je m’aperçus quelques années plus tard, en découvrant sur la toile une maquette du centre-ville de Copenhague faite à cette échelle, que je n’avais pas eu tort. Aussi réussie cette maquette me semblât-elle de prime abord, je ne pus m’empêcher de considérer que la prouesse était davantage d’ordre technique qu’esthétique. Malgré les trésors d’ingéniosité déployés par son bâtisseur pour la réaliser, ne fût-ce que pour le tracé des rues et des canaux dans un milieu où l’angle droit fait figure d’exception, les différents immeubles, pris séparément, manquaient véritablement d’envergure. À bonne distance, on était stupéfait par le réalisme du travail accompli mais, dès qu’on regardait les clichés rapprochés, on ne voyait plus, tout en concédant qu’il n’y avait sans doute aucun moyen de parvenir à un résultat plus satisfaisant, que les innombrables imperfections qu’ils recélaient, que ce fût au niveau des immeubles d’angle, des arrière-cours, des voies ferrées ou des raccords entre les différents quartiers. Souhaitant, pour ma part, donner du relief à ma future maquette, je prévis tout de suite de construire en hauteur et d’opter pour un grand nombre de gratte-ciels. Ma cité adopterait donc la silhouette d'un centre-ville états-unien, serait dépourvue de zones pavillonnaires (on ne lutte jamais assez contre l'étalement urbain), serait ponctuée de gratte-ciels soviétiques (ces immeubles érigés sous Staline que j'avais découverts avec émerveillement durant mon enfance) et, en raison de l'omnipotence de l'angle droit en légotique, serait tracée au cordeau et ne tenterait pas, ne disposant que de briques carrées pour sa construction, de donner l'illusion de la courbe. Ne doutant que très rarement de moi-même, je considérai sur-le-champ qu'il s'agissait d'un concept irréprochable.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Je courus dans la jouetterie la plus proche où je dénichai seize plaques grises (de 38 centimètres de côté) devant constituer le socle de ma future ville qui aurait donc une superficie, au millième, de 2,3 kilomètres carrés. Abasourdi par le montant de la facture à payer (240 euros pour 16 plaques en plastique dont le coût unitaire de production doit revenir à moins de 10 centimes), je faillis, un quart de seconde, renoncer à mon projet. Cela n'aurait pas été raisonnable. Ne possédant pas de voiture, vivant dans une ville où les loyers sont encore très abordables, n'ayant aucun penchant pour les substances toxiques, qu'elles soient licites ou non, et ne faisant jamais de cadeaux, tant à Noël qu'aux anniversaires, je n'avais aucune raison de me refuser ce petit plaisir. Je pris ma respiration, sortis ma carte bleue, réglai et ouvris, le jour même, le plus grand chantier de l'histoire de l'humanité.

Pour que ma ville parût plus dense, je pris la décision que la largeur de mes avenues n’excéderait pas les six tenons, soit exactement 47,5 mètres. Cela peut sembler peu pour une ville aux prétentions de métropole mais je ne voulais pas avoir de grands espaces vacants entre mes immeubles, et ce d'autant moins que je ne disposais pas alors des pièces nécessaires à l’asphaltage des chaussées et au dallage des trottoirs. Pour ceux qui ont du mal à se figurer ce que cela peut représenter, 47,5 mètres sont approximativement la largeur de la perspective Nevski à Saint-Pétersbourg, de l’avenue Gorki à Moscou, de l’avenue Lénine à Minsk, de l’avenue des Princes électeurs à Berlin, de la promenade des Anglais à Nice ou du boulevard Richard Lenoir à Paris. Ce sont des proportions qui n’ont donc rien d’excessif et restent très en deçà des 150 mètres de l’avenue du Neuf Juillet à Bonair, des 140 mètres de l’avenue Foch à Paris, des 130 mètres de l’avenue Tongil à Pyongyang ou des 90 mètres du boulevard de l’Unification à Bucarest. Ce ne fut que plusieurs années plus tard, lorsque je finis par obtenir les pièces qu’il me fallait pour asphalter mes rues, daller mes trottoirs et engazonner mes platebandes, que j’entrepris la percée d’avenues plus larges. La première d’entre elles atteignit les huit tenons, ce qui fait 63,5 mètres à mon échelle, soit un peu moins que l’avenue des Champs-Élysées à Paris ou que la perspective Kalinine à Moscou mais un peu plus que le passage de la Grâce à Barcelone.    

Je pris aussi la décision, pour me faciliter la tâche lors des opérations de rangement ou d’installation, qu’aucune de mes constructions n’empièterait sur une autre plaque que la sienne et ce ne fut qu’en de très rares occasions qu’il m’arriva, par la suite, de déroger à cette disposition que je ne regretterai jamais d’avoir prise. J’aurais pu choisir un système modulaire qui, permettant d’agencer à sa guise les différentes parties d’un tout, est très populaire chez les légobâtisseurs comme je le découvrirai plus tard, mais cette option n’effleura pas mon esprit et c’est peut-être une chance car, me connaissant, j’eusse  été tenté de l’adopter et n’eusse pas manqué par la suite de déplorer ses deux principaux inconvénients : l’uniformité se dégageant de la répétition à grande échelle d’une même structure et l’impossibilité, ne disposant plus que de pièces indifféremment orientables et parfaitement interchangeables, de reconstituer l’ensemble de la ville sans indications très précises.     

Une fois ces deux principes arrêtés sur la largeur des rues et l’implantation des immeubles, je me lançai dans les travaux. Je commençai par la préfecture de police et le siège de la Télévision Publique Nationale - et ceux qui décèleront là ma vile tentative de contrôler les corps et les esprits seront envoyés sans autre forme de procès dans le goulag le plus proche -, érigés tous les deux en style stalinien (tant qu’à faire) sur le modèle de l’hôtel Ukraine à Moscou et devant conserver au cours des années, malgré les nombreuses modifications à venir, leur silhouette générale. Je poursuivis par la construction des gares du Nord et de l’Est qui arborèrent toutes les deux des façades d’un ravissant vert pâle. Je me servis de dalles noires pour les quais et de grilles grises pour les voies ferrées et fus, une fois n’est pas coutume, tout à fait satisfait du résultat. D’ailleurs, malgré les deux reconstructions dont bénéficièrent ces  gares, la première en 2012 puis la seconde en 2015, elles conservèrent leur grande halle, leurs longs quais et leurs voies ferrées d’origine. Puis vinrent la construction d’une trentaine de gratte-ciels dans le centre-ville et l’aménagement, aux alentours, de zones résidentielles à l’habitat semi-ouvert inspirées des quartiers érigés en damier aux lendemains de la guerre et jusque dans les années 60 dans pratiquement toutes les villes des pays communistes (comme le quartier Lomonossov à Moscou, le quartier de la Victoire à Léningrad, le quartier de Poruba à Ostrava ou le quartier de Reutershagen à Rostock) et même, dans une moindre mesure, dans certaines villes des pays capitalistes ravagées par les bombardements comme au Havre, à Brest, à Caen, à Bremerhaven ou à Rotterdam. Les îlots formés par ce mode de construction semi-ouvert respectent la trame des rues, ce qui confère de l’urbanité à la ville, mais les immeubles, même s’ils ne sont espacés que de quelques mètres, ne sont pas contigus et entourent une vaste zone pouvant accueillir des espaces verts, des aires de jeu et des bâtiments publics de faible élévation, cette faible élévation permettant de dégager la vue et d’aérer un ensemble restant néanmoins densément peuplé. Si d’ailleurs ce style d’habitat, après avoir été délaissé à l’époque des grands ensembles est redevenu à la mode dans pratiquement tous les pays, c’est sans doute en raison de son échelle beaucoup plus humaine.

Ensuite, constatant que je disposais à la fois de poutrelles noires pour l’aménagement de voies ferrées aériennes et de briques arrondies translucides pour la construction de stations, j’entrepris le percement d’une première ligne de métro traversant le centre-ville du nord au sud. Je regrettais que mes stations, ne mesurant que 30 mètres de long, fussent si petites mais j’imaginais qu’il s’agissait d’un métro automatique aux rames certes très courtes mais très fréquentes comme il en existe à Rennes, à Lille ou à Lausanne. J’aurais bien aimé qu’on vît circuler quelques rames sur les viaducs de cette première ligne de métro, mais à mon échelle, elles auraient eu la taille d’une allumette et je ne crois pas qu’il y ait en légotique des pièces de cette taille. Enfin, j’aménageai au milieu de mon quartier d’affaires un parc qui, faute de dalles vertes pour représenter ses pelouses, fit triste mine pendant de longues années, ressemblant davantage à un terrain vague qu’à un jardin verdoyant.  

Hélas, je m'aperçus dès les premières heures que le résultat de mon travail ne me satisferait pas. N'ayant ni dalles, ni tuiles pour couvrir mes édifices, mes alignements d'immeubles dépourvus de toiture n'offraient aux regards qu'un immense tapis parsemé d'innombrables pustules colorées. Compte tenu de l'échelle que je m'étais fixée, c'était particulièrement hideux. L'ensemble était en outre beaucoup trop bigarré. Les couleurs vives dominaient très nettement et ma cité naissante ressemblait davantage à l'étal d'un confiseur ambulant qu'au dessein d'un grand architecte minimaliste. La seule chose qui me donnât quelque satisfaction était cette impression d'étendue qui se dégageait de cet agglomérat de formes et de couleurs. Je repartis dans le magasin de jouets où j'appris que les pièces dont j'avais besoin n'étaient pas en vente, consultai le site du fabricant où je vis qu'il était certes possible de les acquérir mais pour un prix faramineux compte tenu des quantités dont j’avais besoin et finis, la mort dans l'âme, par abandonner l'idée de construire une maquette tant soit peu présentable.

 


dimensions et réalisations en 2010

dimensions: 16 plaques soit 2,3 m²

réalisations:

- construction de la préfecture de police et du siège de la Télévision Nationale

- construction de la gare du Nord et de la gare de l'Est

- construction d’une trentaine de gratte-ciels

- construction de faubourgs à l’habitat semi-ouvert

- percement de la ligne A du métro

- aménagement du jardin public

 

constructions préférées en 2010

médaille d'or: toits de la gare de l'Est

médaille d'argent: tours d'habitations (prototype des futures TH1)

médaille de bronze: stations de métro

 

acquisition de nouvelles pièces en 2010

(en dehors des briques les plus traditionnelles)

briques arrondies translucides (2x4x1)

Elles me plurent tout de suite et me servirent à réaliser les stations de métro. Je finis tout de même par m'en débarrasser quelques années plus tard en raison de leur trop petite taille (un peu plus de 30 mètres de longueur).

poutrelles noires (1x8x0,3)

Elles me servirent à construire les viaducs de toutes les lignes de métro, leur largeur (7,50 mètres à l'échelle que je me suis choisie) convenant parfaitement pour faire circuler des rames dans les deux sens (n'oublions pas qu'une petite rame de métro, à mon échelle, correspond à la taille d'une allumette ou deux allumettes). Elles me permirent aussi de délimiter le parc municipal mais je finis rapidement par me débarrasser de ces bordures incongrues (trop larges pour un muret, trop noires pour une allée) qui ne correspondaient à rien de concret.

grilles grises (1x2x0,3)

Faute de dalles aux dimensions adéquates, je m'en servis pour couvrir les gros immeubles de style stalinien et les tours d'habitation d'une vingtaine d'étages. Elles me furent en outre très utiles pour représenter les voies ferrées. Ces grilles étant ajourées, il convient de les poser sur des pièces de couleur similaire pour réduire l'effet de transparence. Je finis par les éliminer des toitures en 2017, lorsque je reçus une importante livraison de dalles gris clair et gris foncé convenant bien mieux, n'étant pas ajourées. Aujourd'hui, je continue de les utiliser pour les voies ferrées et le revêtement de certaines façades.